Claude Debussy (1862-1918)
Prélude à l’après-midi d’un faune (1894), transcription d’Arthur Lavandier (2010, commande du Balcon)
Erik Satie (1866-1925)
Socrate, version pour chant et orchestre (1918)
Gérard Grisey (1946-1998)
Vortex Temporum I, II, III, pour piano et cinq instruments (1996)
Le Balcon
Ténor Damien Bigourdan
Vortex temporum Julie Brunet-Jailly (flûte), Iris Zerdoud (clarinette), Alphonse Cemin (piano), You-Jung Han (violon), Aurélie Deschamps (alto), Clotilde Lacroix (violoncelle).
Orchestre Le Balcon
Direction musicale Maxime Pascal
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Quelques mots sur les pièces, par Maxime Pascal
Socrate
L’histoire de la musique a une perception cynique de Satie : il est vu comme un trublion, un blagueur, un OVNI. C’est sans doute lié à beaucoup de choses, comme les titres de ses pièces, ou sa personnalité dite excentrique. Cependant, avec Socrate, on est sans doute face à l’un des chefs-d’œuvre de la première moitié du XXe siècle ; un neume infini et amoureux.
On est pris à l’écoute de cette œuvre par une émotion très forte, qui est sans doute la même que celle ressentie par Satie à la lectures des écrits de Platon sur Socrate. On sent qu’il est ému, qu’il est emporté par le message qu’il porte, un message ancestral : c’est une émotion humaine, brut. C’est cette substance poétique qui se transmet de manière presque brutale de Satie jusqu’à nous, qui est inouïe. L’objet est unique.
Le texte choisi par Satie, puisé dans plusieurs textes (Le Banquet, Phèdre, Phédon) parle du sentiment amoureux et de la beauté. Messiaen disait qu’il n’y avait pas d’œuvre d’art sans sentiment amoureux ou sentiment religieux et avec Socrate on comprend que ces deux sentiments ne font qu’un : il y a une dimension sacrée dans l’amour et dans le regard porté par Platon à Socrate. l’amour n’est pas pris ici au sens réciproque : l’amour est l’acte d’aimer quelqu’un, d’avoir le regard tourné vers lui.
Au terme de la deuxième partie, les Bords de l’Illisus, Platon parle d’un « terrain légèrement incliné », en parlant de la pente menant au fleuve. À ce moment-là, il y a un moment musical véritablement miraculeux, où la musique s’incline d’émotion. Et dans la troisième partie, avant sa mort, Socrate passe les mains dans les « beaux cheveux » de Phédon et lui recommande d’aller les couper : c’est un authentique geste d’amour, souligné par Satie.
Vortex Temporum I, II, III
Gérard Grisey était fasciné par les différentes temporalités expérimentées par les vivants. Les humains expérimentent une temporalité propre, différente de celle des mammifères, des insectes, des plantes ou des astres. Il y a ainsi des temporalités nous pouvons percevoir, et d’autres qui nous échappent. Lorsque les baleines communiquent, elles le font dans leur temporalité propre, qui est extrêmement étirée ; quant aux insectes, leurs échanges vont bien plus vite que pour nous.
Toute la musique de Grisey s’intéresse aux ondes. Il prend donc une onde, prise dans Daphnis et Chloé de Ravel, une mélodie, et il la fait changer de temporalité. On entend donc cette onde, cette vague, cette matière sonore, qui va dialoguer dans différentes temporalités, et qui va s’étirer jusqu’à ce qu’on ne la reconnaisse plus, et se contracter jusqu’à devenir timbre. C’est pour cela que cette pièce s’appelle Vortex Temporum, qui signifie « tourbillon de temps » : il fait tourbillonner et danser ces différentes temporalités entre elles. Ainsi, Vortex Temporum est une pièce sur le temps.
Grisey était également passionné par la sensation qu’a l’auditeur du phénomène musical et sonore, et par la puissance énergétique du rythme. On considère généralement que l’invention rythmique a connue une avancée spectaculaire avec Debussy, puis Stravinsky avec le Sacre du Printemps ; un chemin a ensuite été parcouru avec Schönberg, Messiaen, Bartók avec le rythme combinatoire. Grisey utilise dans Vortex Temporum le rythme comme énergie. Les Américains (Riley, Reich, Glass) ont également cette conception, et Grisey sublime ici cette idée.