Licht

LICHT

cycle opératique

Licht, les Sept Jours de la semaine est un cycle de sept opéras composé par Karlheinz Stockhausen entre 1978 et 2003, qui dure au total près de vingt-neuf heures.

Pour chacun de ces opéras, Stockhausen a attribué un jour de la semaine, une couleur, une planète, une pierre précieuse et un parfum. Il tente, avec un langage musical et visuel créé intégralement, une recréation du monde à travers l’existence, l’union et la confrontation de trois entités : Michael, Eva et Lucifer. La musique n’est pas seule, puisque Stockhausen a écrit la danse, les gestes et les livrets.

Cinq de ces opéras sont créés du vivant du compositeur ; la création des deux derniers, Mittwoch aus Licht [Mercredi de Lumière] et Sonntag aus Licht [Dimanche de Lumière] est posthume (2012 et 2011).

Tout le cycle LICHT est construit sur le principe d’une « superformule » musicale, contenant trois mélodies superposées, correspondant aux trois archétypes, Michael, Eva et Lucifer.

Cette superformule est contenue, dans une version condensée, dans un « noyau », visible en haut de cette page. En découpant ce noyau en sept, et en lisant les notes superposées, on obtient une série d’accords, qu’on entend de manière lancinante pendant les opéras.

Cette idée est centrale pour comprendre la tentative de Stockhausen : partir de l’infiniment réduit, pour aller à l’infiniment élaboré. C’est, en quelque sorte, une tentative de réplique du fonctionnement de l’univers.

Michaël, Ève et Lucifer sont les trois anges des Sept jours de la semaine. Les trois premiers opéras les présentent, les quatre autres révèlent leurs interactions.

Donnerstag aus Licht [Jeudi de Lumière, 1978-1980] présente Michaël. Dans le récit de sa jeunesse, on le voit aimer et perdre ses parents, tomber amoureux d’Ève, et réussir l’examen d’entrée au conservatoire. Après un extraordinaire tour du monde où il découvre les rites et cultures de nombreux peuples, il retourne sur sa planète Sirius, où il est célébré par Ève et moqué par Lucifer. Nostalgique, il confie son amour de l’humanité.

Samstag aus Licht [Samedi de Lumière, 1981-1983] dévoile Lucifer, un esprit taquin, mystérieux et obsessionnel. Au cours des trois premières scènes, il rêve d’une pièce pour piano, feint la mort pendant qu’un chat noir joue son requiem, et fait danser toutes les parties de son visage devenu géant. Les spectateurs quittent la salle de concert pour rejoindre une église et assister à la dernière scène, au cours de laquelle trente-neuf frères franciscains disent adieu à Lucifer. Un oiseau noir est libéré dans la nuit.

Montag aus Licht [Lundi de Lumière, 1984-1988] est une célébration d’Ève, mère cosmique de l’humanité. L’opéra se déroule sur une plage, autour d’une immense statue de femme en position gynécologique. Elle enfante quatorze créatures hybrides, puis sept enfants « de la semaine », qui chantent chacun l’hymne de leur jour. La flûtiste Ave apparaît, ensorcelle d’autres enfants qui se transforment en oiseaux et montent au ciel.

Dienstag aus Licht [Mardi de Lumière, 1977, 1988-1991] raconte le conflit de Michaël et Lucifer, et le désespoir d’Ève devant cette guerre spirituelle et fraternelle. C’est d’abord un jeu cruel, une course du temps au cours de laquelle Lucifer arrête le temps, Michaël devant le remettre en marche ; puis une guerre, acoustique et électronique, où les bombes de son répondent aux tirs des armées de trompettes et de trombones. Cette guerre, pleurée pendant la scène Pietà suite à la mort d’un combattant, est interrompue par la magie d’une créature fantastique, Synthi-Fou.

Freitag aus Licht [Vendredi de Lumière, 1991-1994] nous montre la tentation d’Ève par Lucifer. Lucifer (Ludon) propose à Ève la main de son fils, Caino. Les enfants d’Ève et Ludon se rencontrent, chantent et jouent ensemble. Elle finit par accepter ; Michaël crie, le ciel s’embrase, les enfants se déclarent une guerre qui culmine par l’irruption d’un rhinocéros. Ève se repent et voit une lumière divine.

Mittwoch aus Licht [Mercredi de Lumière, 1995-1997] est l’opéra de la coopération des trois anges. Les quatre scènes ne sont pas reliées par un fil narratif mais forment un tout structurel et musical. Un parlement du monde discute de l’amour, douze instrumentistes jouent chacun un solo en lévitant au-dessus de la terre, un quatuor à cordes est emmené dans les airs par des hélicoptères, et un siège intergalactique, Michaelion, est le théâtre de la réconciliation de Michaël et Lucifer. Michaël se transforme en onde cosmique – en musique.

Sonntag aus Licht [Dimanche de Lumière, 1998-2003] est le jour du mariage d’Ève et Michaël. Les cinq scènes forment une célébration mystique de leur union, à travers le déplacement de sons, de lumières et d’eaux, de processions d’anges, de tableaux lumineux, d’encens diffusés, de symboles montrés. Un jeune garçon est emmené dans les airs par un cheval volant. L’histoire de Licht est reformulée ; la semaine de lumière peut recommencer.

Licht, une œuvre pour notre temps, par Maxime Pascal

L’écriture de Licht dure vingt-cinq ans, de 1978 à 2003, et les deux derniers opéras furent créés de manière posthume en 2011 et 2012. La post-modernité dans laquelle nous nous trouvons nous interroge de fait sur les compositeurs du répertoire récent et redéfinit la lecture que nous faisons aujourd’hui d’une œuvre monumentale comme Licht, sans aucun doute mal comprise et caricaturée à tort du vivant de son auteur.

Pour Karlheinz Stockhausen (1928-2007), tout converge dans sa trajectoire à l’élaboration de ce cycle démiurgique. Les trouvailles effectuées dans des pièces comme Gesang der Jünglinge (1956), Mantra (1970), Inori (1974) ou Harlekin (1975) se retrouvent organisées en un ensemble cohérent, qui exprime l’ambition d’un créateur alors mûr dans ses réflexions musicales et philosophiques. Licht tire ses racines dans une musique ancienne tout en ayant le regard dirigé vers le futur de l’art.

Chez Stockhausen, l’objet expressif se trouve dans la combinaison d’une écriture de l’espace et du temps. Stockhausen révèle un théâtre instrumental nouveau, prolongeant ainsi le geste enclenché par Berlioz et Strauss. Et avec la « superformule », l’ADN de ces vingt-neuf heures de musique, Stockhausen révèle un système musical nouveau, construit sur sa pensée et la signification qu’il attribue aux rythmes, intervalles, tempi et nuances. Passionnés par cette musique depuis la création de notre compagnie, Le Balcon, il était pour nous naturel de rêver une intégrale du cycle. Le texte de Licht imaginant des éléments non-réalisables à l’époque de son écriture, il nous pousse à un apprentissage et à un devoir d’invention fascinant, tant artistique que technique.

Le projet d’intégrale raconte ainsi l’histoire de cet apprentissage.

Maxime PascalLe Balcon : directeur artistique

Licht, un cycle de sept opéras | Par Laurent Feneyrou, musicologue chargé de recherches dans l’équipe Analyses des pratiques musicales (STMS / Ircam / Sorbonne Université)

Cycle de la semaine, Licht est un rituel total, en sept opéras, une magistrale somme symbolique, au-delà de toute religion, une cérémonie d’apparence ingénue, mais rigoureusement ordonnée, de sons, de mots, de gestes, de couleurs et d’objets, jusqu’à atteindre l’illumination.

Au commencement est une mélodie, une « formule », composée en 1977, enrichie l’année suivante, et qui régit tout le cycle, dont la composition occupera Stockhausen jusqu’en 2003. Vingt-cinq ans s’y cristallisent donc, synthèse d’une vie ardemment vouée à la création et s’ouvrant peu à peu en un mouvement de spirale. Depuis chacune des notes de la mélodie, l’invention, féconde, se déploie et se fait musicale, mais aussi cosmologique : dans le sillage de la pensée antique, créer, c’est construire ou reconstruire l’ordre de l’univers à travers une mystique du nombre et du son comme harmonie du monde, miroir de ses proportions parfaites.

Trois principes, immortels, trois incarnations spirituelles organisent le cycle, trois forces. Elles sont respectivement confiées à la trompette, à la clarinette et au trombone, mais aussi au ténor, à la soprano et à la basse, voire à des danseurs – à l’occasion sur échasses. Solistes ou ensembles, instrumentaux, vocaux ou chorégraphiques, tout, ici, en est une émanation. Michaël, l’archange guerrier terrassant le dragon, dont l’Indo-Iranien Mithra, l’Égyptien Thot, le Grec Hermès, les Scandinaves Thor ou Donar, mais aussi Siegfried sont des déclinaisons, règne sur une galaxie autour d’un feu central. Médiatrice, Eva oscille entre l’Esprit-Mère cosmique et la séductrice, entre Inanna, la Sumérienne, ou Marie, mère du Christ, et Aphrodite, Vénus ou Lilith. Idéaliste, fier, Lucifer, souverain déchu, est la force des opposés qui ne coïncident pas et se montre hostile à l’illusion humaine du temps, qu’il entend abolir, car l’immortalité serait propre à chacun de nous. Dès lors, la semaine se découpe ainsi : lundi est le jour d’Eva ; mardi, celui du conflit entre Michaël et Lucifer ; mercredi, celui de l’harmonie ; jeudi, celui de Michaël ; vendredi, celui de la tentation d’Eva par Lucifer ; samedi, celui de Lucifer, jour de Saturne, de la tombe et des danses de mort, quand dimanche scelle l’union mystique d’Eva et de Michaël.

« Je suis celui qui écoute », aimait à dire Stockhausen, qui savait écouter la lumière.

Un projet pédagogique

ÉCOLES. Les opéras du cycle Licht ont tous pour sujet de grands thèmes universels : la vie et la mort, la paix et la guerre, la croyance, la communication entre les hommes, l’art ou encore l’humour. Tous ces sujets peuvent être abordés de diverses manières et avec tous les âges à travers un dialogue entre interprètes et élèves ainsi qu’à travers un temps purement musical permettant de vivre l’expérience sensorielle du concert.

A la différence de la majorité des opéras, Karlheinz Stockhausen a confié les rôles principaux à des instrumentistes, des danseurs et des chanteurs. Ces histoires sont donc racontées en musique et en mouvement, sans intervention systématique de la parole. Selon les âges, ce langage suscite des réactions très variées, de l’amusement à l’étonnement voire au scepticisme parfois des plus âgés.

Nous avons joué et présenté des scènes extraites de plusieurs opéras (Donnerstag, Samstag) à des maternelles, des primaires, des collèges, des lycées, des enfants qui faisaient de la musique ou non, des enfants de quartiers aisés ou défavorisés, des collégiens primo-arrivants qui ne parlaient pas encore français : tous ont été touchés, intéressés, interpellés et lors des rencontres dans les classes les questions étaient toujours nombreuses et riches.

Les solistes jouant cette musique par cœur, en mouvement, sans partition ni pupitre entre eux et leur auditoire, un lien direct et immédiat se crée. Le concert peut avoir lieu n’importe où, dans un préau, une salle de classe ou de concert.

Dans une démarche pédagogique à l’échelle de plusieurs mois ou d’une année scolaire, les élèves pourront s’approprier les éléments de langage, s’en emparer et improviser leur propre musique. Dans un cadre plus traditionnel de concert scolaire, une présentation préalable et une rencontre avec les musiciens à l’issue du concert permet aussi une approche didactique ainsi qu’un éveil musical et sensoriel.

Pour les plus âgés, collégiens et lycéens, le concert peut aussi devenir prétexte à des réflexions sur l’art, l’histoire, la philosophie autour des grands thèmes abordés par le cycle de sept opéras.

ÉTUDIANTS. Nous intégrons systématiquement des jeunes étudiants de 15 à 23 ans, qui se destinent à devenir musiciens professionnels dans les orchestres et chœurs de nos opéras. Pour Donnerstag aus Licht, 60 chanteurs du Jeune Chœur de Paris étaient présents, ainsi que 40 instrumentistes du CRR de Paris ; pour Sams- tag aus Licht, 60 instrumentistes à vent ont participé à la scène III de l’opéra. Pour Dienstag, nous prévoyons une nouvelle participation du Jeune Chœur ainsi que des étudiants du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris.

AMATEURS. Si la musique de Stockhausen est réputée très difficile à jouer, certaines parties sont accessibles aux musiciens amateurs. Ainsi, nous avons intégré l’Orchestre Impromptu (orchestre amateur dont Maxime Pascal est le directeur artistique depuis 2008) à Donnerstag aus Licht pour jouer le Gruss (Salut). Lors de notre reprise au Southbank Centre de Londres, c’est le New London Chamber Choir, un chœur amateur de grande qualité, qui a chanté dans la troisième scène de l’opéra.

Productions des opéras du cycle Licht

Historique exhaustif

Donnerstag aus Licht
• 3 avril 1981, Teatro alla Scala, Milan, Italie. Direction musicale : Karlheinz Stockhausen. Chef d’orchestre : Peter Eötvös. Mise en scène : Luca Ronconi.
• 16 septembre 1985, Covent Garden, Londres, Royaume-Uni (Karlheinz Stockhausen/Peter Eötvös/Michael Bogdanov).
• 25 juin 2016, Theater Basel, Suisse. (Titus Engel/Lydia Steier) 15 novembre 2018, Opéra Comique, Paris, France (Maxime Pascal/Benjamin Lazar).

Samstag aus Licht
• 25 mai 1984, Palazzo dello sport, Milan, Italie (Teatro alla Scala). (Karlheinz Stockhausen/Luca Ronconi).
• 28 juin 2019, Philharmonie de Paris, France (Maxime Pascal/Damien Bigourdan et Nieto).

Montag aus Licht
• 7 mai 1988, Teatro alla Scala, Milan, Italie. (Karlheinz Stockhausen/Peter Eötvös/Michael Bogdanov).
• 23 septembre 1988, Théâtre des Champs-Elysées, Paris, France. (Karlheinz Stockhausen/Peter Eötvös/Graham Vick)

Dienstag aus Licht
• 28 mai 1993, Leipzig Opera, Allemagne.
(Karlheinz Stockhausen/Uwe Wand, Henryk Tomaszewski, Johannes Conen).

• 24 octobre 2020, Philharmonie de Paris. (Maxime Pascal/Damien Bigourdan et Nieto).

Freitag aus Licht
• 20 septembre 1996, Leipzig Opera, Germany (Karlheinz Stockhausen/Uwe Wand, Johannes Conen).

• 5 novembre 2022, Opéra de Lille (Maxime Pascal/Silvia Costa).

Mittwoch aus Licht
• 22 août 2012, The Argyle Works, Birmingham, Royaume-Uni ; production Birmingham Opera Company, The Cultural Olympiad). (Kathinka Pasveer/Graham Vick).

Sonntag aus Licht
• 9 et 10 avril 2011, Opéra de Cologne, Allemagne. (Kathinka Pasveer, Peter Rundel/Carlus Padrissa).